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L’entreprise, l’espace de formation et développement de demain ?
Face aux difficultés rencontrées par les recruteurs pour trouver certaines compétences, l’entreprise sera-t-elle le lieu de formation de référence de demain ? Les grands groupes développent déjà leurs propres instituts ou universités et les PME imaginent aussi de nouvelles solutions. Et si l’entreprise de demain était la « learning company », où l’on apprendrait tout en travaillant ?
Et si l’entreprise remplaçait l’école ? Derrière cette question un peu provocante, se cache une réalité. Confrontées à des difficultés de recrutement de personnel qualifié, de plus en plus d’entreprises françaises créent leurs propres centres de formation. De l’école d’apprentissage technique jusqu’à l’université pour cadres et managers, ces structures permettent de former les salariés tout au long de leur carrière et de développer la culture d’entreprise. Et certaines vont même jusqu’à créer leurs propres diplômes !
Du centre de formation à l’université d’entreprise
Environ une centaine de groupes en France possèderait aujourd’hui leur propre université, essentiellement des sociétés de grande taille.
« Les universités d’entreprise ont été l’apanage des grands groupes disposant de moyens souvent importants, mais elles ont aujourd’hui également trouvé leur place dans des entreprises plus petites de 1000 personnes, voire moins. Les Universités d’entreprise ne sont pas des centres de formation qui sont conçus, eux pour le développement individuel. Leur rôle est de challenger et mettre en œuvre les stratégies business et de fédérer les salariés autour de la culture et de la marque de l’entreprise. C’est un espace d’éducation et de développement très stratégique dépendant de la direction générale. Ce qui lui confère un réel pouvoir d’agir pour accompagner les transformations, ce que ne peut faire un simple centre de formation rattaché à la DRH où ce qui s’y risque est rarement dangereux pour l’entreprise. Au mieux on y travaille sur des études de cas, des mises en situation, alors que dans les universités d’entreprise on mobilise l’intelligence collective autour de solutions business » explique Annick Renaud-Coulon, présidente d’Univencis et fondatrice du Global Council of Corporate Universities, le réseau mondial des universités d’entreprise.
« L’université d’entreprise est un maillon qui manquait dans la chaîne éducative tout au long de la vie, même si heureusement cette chaîne est loin d’être linéaire », plaide Annick Renaud-Coulon. « Des personnes parents, maîtres d’école, professeur, ou des institutions accompagnent l’enfant, l’adolescent puis l’adulte pour l’aider à trouver sa juste place dans le monde. L’université d’entreprise continue cet accompagnement dans une dimension plus large, celle du collectif ».
Les jeunes diplômés plébiscitent ces universités d’entreprise qui leur permettent une meilleure intégration et garantie une évolution dans leur carrière. Mais qu’en est-il dans les PME où la formation est souvent externalisée ? Le numérique a permis de changer la donne. La formation en ligne, ou e-learning, que les salariés peuvent suivre depuis l’entreprise, progresse de 15 % par an en France, notamment depuis sa reconnaissance par la réforme de la formation professionnelle de 2014 et une baisse des coûts. Les Mooc (cours en ligne), la 3D, les simulateurs, les jeux vidéo, la réalité virtuelle, viennent désormais compléter la formation présentielle. Le numérique permet aux entreprises de gérer et générer leurs propres contenus de formation, même si une grande partie des plateformes d’apprentissage sont externes à l’entreprise.
« Mais attention. Les nouvelles technologies, tout comme une session de formation traditionnelle, ne rendent pas forcément le salarié plus compétent. Ce modèle de formation descendant, où un professeur s’adresse à des élèves quel que soit le canal, est à abandonner. La compétence se fabrique avant tout dans l’action, c’est-à-dire en faisant », explique Sandra Enlart, spécialiste des questions de formation.
Un nouveau modèle de formation en entreprise
Dans son dernier livre « De la formation à la learning company » (Eyrolles, octobre 2018), cette directrice de recherche en sciences de l’éducation à Paris-ouest-Nanterre plaide pour un changement radical de la formation en entreprise : « La learning company, c’est l’entreprise qui insère des temps d’apprentissage dans le processus de production. Et c’est une véritable innovation. Je travaille actuellement sur des expérimentations pour rendre des situations de travail apprenantes. Cela pose plein de questions techniques et méthodologiques. Une chose est sure, c’est une remise en cause sur la façon dont on travaille. La robotique, l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle vont changer la donne. Il ne faudra plus simplement former. Il faudra concevoir dès le départ un poste de travail pour qu’il soit apprenant. J’apprends parce que je fais, progressivement, avec l’aide d’un coach, d’un manager qui est au service du développement des compétences, et avec un collectif, mes collègues. C’est un travail collaboratif avec un aspect très individuel car nous n’apprenons pas tous aussi vite et bien. L’entreprise qui n’ira pas dans ce sens devra aller chercher les compétences sur le marché du travail, ce qui lui coûtera plus cher sur un marché en tension. Alors que l’anticipation des compétences devient un avantage compétitif. Les entreprises forment les gens quand ils travaillent, en leur donnant les informations en situation. C’est une solution entièrement internalisée ».
Le centre de formation nouvelle génération
En attendant cette « learning company », des entreprises créent des structures de formation de nouvelle génération. La nouvelle Loi Avenir professionnel de 2018 leur donne désormais la possibilité de créer leur propre centre de formation des apprentis (CFA) afin de former des élèves à leurs métiers mais aussi de développer les compétences des salariés.
Le groupe Adecco a saisi cette opportunité pour ouvrir début 2019 le tout premier CFA de France spécialisé dans les métiers du recrutement. Ouvert aux salariés, clients du groupe et à des étudiants, ce CFA dispense, à Paris et au siège de Villeurbanne (Rhône), 400 heures de formation en deux ans sous forme d’alternance, validées par une certification professionnelle reconnue. « Il n’existe pas de formation dédiée au métier de recruteur. L’ambition de ce CFA est donc d’en faire une voie d’excellence à part entière, avec des formations sur les nouvelles méthodes de recrutement », souligne Frédérique Plasson, directrice générale des solutions emploi et formation du groupe Adecco.
D’autres entreprises imaginent des solutions de formation innovantes et collaboratives. Comme à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), où le leader mondial du pneu Michelin a décidé de transformer son école technique, fondée en 1949, en un centre pour les métiers de l’industrie du futur. Particularité de ce projet d’envergure unique en France : il est ouvert à d’autres entreprises, et notamment aux PME de la région.
Baptisé Hall 32, cet immense bâtiment dispose d’une chaine de fabrication high-tech et robotisée et pourra accueillir dès la rentrée 2019 plus de 300 élèves et 1 800 adultes en formation continue.
« Dans les métiers de l’industrie et de la mécanique, il y a une inadéquation entre la formation scolaire et les besoins des entreprises alors que ces secteurs embauchent. Et ces métiers souffrent encore d’une image négative. Le Hall 32 doit permettre d’améliorer tout cela. Dans les métiers de la maintenance, il y a de gros besoin de main d’œuvre et de formation », témoigne Marie-Odile Homette.
La déléguée générale du cluster ViaMéca, qui regroupe 400 entreprises mécaniques de la région Auvergne-Rhône-Alpes, observe que « l’entreprise devient de plus engagée dans la formation. L’entreprise joue désormais un vrai rôle pour une formation plus collaborative et plus partagée ».
Michelin s’est associé d’ailleurs avec d’autres entreprises régionales comme Limagrain, le pôle de compétitivité ViaMéca, mais aussi la Banque de France, l’Etat, la Région Auvergne Rhône-Alpes et… le Rectorat. Ici l’école et l’entreprise ne sont plus dos à dos, mais travaillent main dans la main.