« L’entreprise doit savoir s’adapter à toutes les différences »

Johan Titren est Directeur Égalité des Chances pour The Adecco Group. Laure Châtillon occupe le poste de Diversity Leader pour PwC, au sein duquel elle est associée. Pour ces deux experts, notre société traverse un véritable bouleversement social. Inclusion, diversité, RSE… le mouvement est lancé, il doit désormais s’accélérer pour répondre aux attentes des citoyens.

Nous entendons beaucoup parler du terme « inclusion ». Que signifie ce terme selon vous ?

Johan Titren

: Vaste question ! Le terme inclusion est aujourd’hui utilisé alors qu’auparavant, le discours portait sur la citoyenneté puis la diversité en entreprise. C’est significatif d’un changement de paradigme. Avant, il s’agissait pour les organisations d’ouvrir leurs portes aux différences, maintenant c’est aux entreprises de s’adapter à toute différence qui se présente à elles. C’est à l’organisation de s’adapter, ce n’est plus à la personne.

Laure Châtillon

: J’ai une autre analogie illustrant la différence entre intégration et inclusion. L’intégration, c’est inviter une personne à une soirée dansante. L’inclusion, c’est danser avec elle sur les musiques de son choix. L’inclusion va bien au-delà de l’intégration. Il s’agit de prendre en compte les différences de chacun pour les valoriser. Avec un objectif simple : que chacun puisse mener une carrière unique.


Une étude du Lab’ho (Observatoire des hommes et des organisations du groupe Adecco) révèle que 92% des DRH savent qu’il y a des stéréotypes conscients ou inconscients avec un impact sur les choix effectués lors d’un recrutement. Comment changer cela ?

Laure Châtillon

: Chez PwC, nous avons mis en place des formations internes. Je ne peux pas assurer que cela élimine tous les biais, mais cela permet d’en avoir conscience et de prendre du recul. Moi-même, j’ai constaté que j’avais encore parfois des a priori alors que je suis une femme et que je suis très sensibilisée à la question ! Une bonne partie de la transformation passe donc par la formation et la sensibilisation. Les recruteurs ne devraient plus mettre les CV dans des cases, ils doivent s’ouvrir à des profils différents.

Johan Titren

: Je suis d’accord, il est indispensable d’agir sur la professionnalisation des acteurs du recrutement. Seuls 42% d’entre eux ont déjà suivi au moins une formation sur le recrutement et à peine 28% une formation à la non-discrimination. Au sein de The Adecco Group, nous sommes particulièrement engagés du fait de notre position d’intermédiaire sur le marché de l’emploi à faire de la non-discrimination une compétence de nos collaborateurs. Nous formons régulièrement nos équipes à « recruter sans discriminer ». Nous menons également des campagnes de sensibilisation à l’impact des stéréotypes ou encore de testing sollicité de nos pratiques de recrutement de manière à en garantir la conformité et l’efficacité.
Je suis convaincu qu’il ne suffit pas de former les esprits sur le sujet des discriminations, il faut aussi les outiller et faire évoluer les processus de recrutement. Les techniques d’évaluations et les tests de mise en situation existent et il est temps d’en généraliser l’usage. Diversifier les méthodes de recrutement et d’évaluation des compétences est indispensables pour réellement donner leurs chances à tous les talents.


L’adoption de la loi Pacte permet aux entreprises de définir leur raison d’être et de l’intégrer dans leurs statuts, pour concilier leurs engagements sociaux et environnementaux avec leur recherche de performance économique. Cela peut-il faire bouger les lignes ?

Johan Titren

: Oui, j’en suis convaincu. D’une part, la loi Pacte vient à mes yeux reconnaître officiellement la contribution des entreprises aux enjeux sociaux et environnement… et donc affirmer à celles qui ne sont pas encore mobilisées que les engagements sociétaux sont désormais indissociables de la conduite de leurs activités.
D’autre part, la loi Pacte vient sécuriser le cadre d’action et inciter les entreprises à aller plus loin dans la recherche d’une performance globale. Je n’imagine pas une grande entreprise qui n’ait pas défini sa raison d’être d’ici 2 à 3 ans ! L’effet va être systémique car au-delà de la rédaction de cette raison d’être, les évolutions qu’elles nécessitent et qu’elle va entrainer vont bien au-delà des mots et touchent au cœur même du fonctionnement des organisations.

Laure Châtillon

: Elle a un impact positif mais elle n’est pas suffisante. Les entreprises doivent désormais mettre en place des actions plus courageuses, notamment vis-à-vis de l’égalité femmes-hommes.


De plus en plus d’entreprises communiquent sur leur responsabilité sociale et environnementale : vrais engagements ou poudre aux yeux ?

Johan Titren

: Au risque d’être naïf, je crois que la communication est indissociable de la transformation des entreprises vers une performance globale, même s’il est aujourd’hui indispensable d’adapter les formats et les contenus de cette communication extra-financière. Je crois même que ces actions de communication peuvent participer à l’évolution de la société de façon générale et conduire au changement y compris hors des entreprises.

Laure Châtillon

: Je suis d’accord, les engagements sont sincères. En revanche, les actions me paraissent encore trop timides. Il est temps de prendre des décisions concrètes. Par exemple, chez PwC, nous avons mis en place un principe concernant les promotions. Le pourcentage de femmes promues chaque année doit être équivalent à celui du volume qu’elles représentent dans chaque métier.


Depuis la loi du 11 février 2005, tous les établissements privés et publics (+ de 20 collaborateurs) doivent obligatoirement compter 6% de travailleurs handicapés dans leur effectif. On sait que ce quota n’est pas respecté. Est-ce le quota qui n’est pas adapté ou bien les entreprises qui ne font pas d’efforts ?

Johan Titren

: Les deux ! Le chiffre de 6% n’a pas bougé depuis 30 ans, pourtant le monde de l’emploi a beaucoup évolué. Pour tenir compte des réalités actuelles, je crois que l’obligation d’emploi devrait évoluer pour être plus évolutive et incitative que punitive. Le nombre de collaborateurs handicapés au sein des entreprises n’a jamais été aussi élevé et en même temps la situation d’emploi des travailleurs handicapés n’a jamais été aussi dégradée.
Employeurs et personnes en situation de handicap se heurtent aujourd’hui à un nouveau défi, la révolution des compétences synonyme d’obsolescence rapide des compétences dans le monde du travail actuel et de capacité à donner les mêmes chances d’accéder et d’évoluer en emploi à tous les talents.

Laure Châtillon

: Le sujet est très compliqué pour les entreprises : il est difficile d’identifier et donc de recruter des personnes handicapées. D’autant plus qu’un certain nombre d’entre elles (avec des handicaps peu ou pas visibles notamment) ne souhaitent pas se faire reconnaître comme telles. Il faudrait donc sensibiliser ces travailleurs aux avantages dont ils pourraient bénéficier s’ils faisaient reconnaître leur handicap. Ceci étant dit, je ne pense pas qu’il soit opportun de revoir ce quota. Il est ambitieux, mais c’est une bonne chose car il oblige les entreprises à mettre en place des actions fortes.


Interrogés par BVA, les salariés sont une grande majorité à penser que les entreprises devraient s’engager dans le domaine environnemental (88%) et dans le domaine social (73%). Et pourtant, certaines entreprises qui peuvent être vues comme peu respectueuses de l’environnement ne semblent pas avoir de problèmes de recrutement. Qu’en pensez-vous ?

Laure Châtillon

: Nous sommes encore au stade de la prise de conscience. Aujourd’hui, ces entreprises compensent avec une notoriété et des perspectives de carrière. Demain, elles auront de plus en plus de mal à recruter. Les futurs talents n’iront plus dans ces organisations si elles n’évoluent pas.

Johan Titren

: Les mentalités et les entreprises sont en train d’évoluer. En attendant que ces changements soient complètement opérés, le principe de réalité s’impose à la plupart d’entre nous. L’erreur serait de se contenter de laisser le temps agir. Il faut que le changement vienne aussi de l’intérieur et il est je crois de l’intérêt des entreprises d’entendre et d’encourager la mobilisation de leurs propres collaborateurs. L’intrapreneuriat social est un véritable levier de transformation.
Donc, il doit pouvoir être possible de faire partie des 88% de l’enquête BVA, être salarié d’une entreprise peu engagée et de contribuer, de l’intérieur, à l’évolution de celle-ci.